CINQUIÈME ÉTAPE - Etre DANS le monde sans être DU monde !
Source : Jacques Languirand in "RADIO CANADA" - Par 4 chemins.
Cinquieme Etape Être dans le monde sans être du monde
Je vous suggère maintenant non pas un exercice, mais plutôt de susciter chez vous, à quelques reprises au cours de la journée une certaine attitude et de l'entretenir jusqu'à ce qu'elle devienne une seconde nature.
Cette attitude, que l'on peut définir comme l'attitude juste, suppose de saisir le sens profond d'une formule qui nous vient des écoles de sagesse et selon laquelle il faut être dans le monde sans être du monde.
Cette formule rencontre souvent au premier abord une résistance, en particulier chez les gens d'action.
Toute attitude qui suppose une certaine distance par rapport à l'action paraît une menace au plan de l'efficacité, alors qu'en fait c'est exactement le contraire qui est vrai.
Être du monde, c'est être entièrement absorbé par l'action; être dans le monde, c'est être engagé dans l'action mais sans pour autant se perdre de vue.
Lorsque l'on est entièrement absorbé par le monde, c'est le monde qui nous détermine; tandis que lorsque l'on est engagé dans l'action sans pour autant se perdre de vue, c'est nous qui déterminons le monde, au moins relativement.
Être dans le monde sans être du monde.
Je réclame le droit de n'être pas entièrement absorbé par mes actes.
La liberté, c'est d'entretenir en moi le sentiment d'être libre à l'intérieur, afin de pouvoir m'identifier à cette part de moi-même qui n'est jamais engagée dans l'acte.
Cette part qui est le témoin de mon action et de moi-même.
Je réclame le droit de garder la maîtrise de ma vie en m'identifiant le plus possible au témoin.
La distance que je crée de cette façon et que j'entretiens le plus possible par rapport à mon action et au monde me permet de garder relativement la maîtrise de ma vie plutôt que d'être absorbé entièrement par l'action, par les autres, par le monde.
Cette distance me permet en fait d'agir avec une plus grande efficacité dans la mesure où je vois le monde avec une plus grande objectivité.
Elle me permet aussi de m'identifier à ce que je suis et non pas seulement à ce que je fais.
Distance donc par rapport à la crise de civilisation, par rapport à la folie du monde, par rapport aux autres qui veulent m'entraîner dans le flot tumultueux d'un certain délire collectif, tel que je peux l'observer autour de moi, avec le risque de me perdre de vue, de ne plus m'appartenir, de ne plus être moi, de ne plus pouvoir m'identifier à cette part de moi qui correspond à ce qu'il y a de plus profond en moi.
Être dans le monde et non du monde, c'est pouvoir regarder la vie se vivre.
Nous entretenons trop souvent l'illusion que la vie ne se vivrait pas sans nous.
Pourtant, nous ne sommes que des canaux par lesquels passe l'énergie de la transformation du monde.
Être du monde, c'est se définir dans le temps, c'est être déterminé par les problèmes qui nous envahissent jour après jour mais qui dans quelques années nous paraîtront sans doute dérisoires; alors qu'être dans le monde, c'est parvenir à s'identifier à cette part en chacun de nous qui se définit hors du temps.