Palantir Célèste !

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La réunion secrète du 11 juin 1965 sur l’Union monétaire européenne

L’Union européenne actuelle ne répond pas aux projets des Européens de l’entre-deux-guerres, mais à ceux du Washington de la Guerre froide. Elle ne vise pas à mettre en commun des ressources, mais à créer un grand marché articulé à l’empire anglo-saxon, éloigné de l’influence de Moscou. Non seulement, son objectif n’est pas de faire la paix en Europe (comme on l’a vu en Yougoslavie et on le voit aujourd’hui en Ukraine), mais au contraire de diviser l’Europe entre sa partie Ouest et sa partie Est. La publication d’un document de 1965 montre comment le vice-président de la CEE discutait avec les États-uniens de la manière de rouler les peuples européens…

 

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Robert Marjolin, en 1949, dans les studios de Voice of America

Dans un article retentissant du 19 septembre 2000, le journaliste du très sérieux quotidien britannique Daily Telegraph, Ambrose Evans-Pritchard, a montré que les autorités états-uniennes ont soutenu le processus dit de « construction européenne », ainsi que la mise en place, dès les années 1960, d’une union monétaire [1].

Reposant sur l’analyse d’archives du département d’État des années 1950 et 1960, rendues publiques à l’été 2000, cet article, bien que sensationnel, a été totalement passé sous silence par les médias et les partis politiques français.

Au sein de la presse française, quelques très rares articles ont apporté au public des explications fouillées et sérieuses à ce sujet [2]

Qui a participé à cette réunion ?

La note en question est le résumé d’un entretien (« Memorandum of conversation ») d’une réunion tenue le 11 juin 1965 au département d’État à Washington entre 6 personnes [3] :

a) d’une part, le Français Robert Marjolin, vice-président de la Communauté économique européenne (CEE) à l’époque.

Robert Marjolin, né en 1911 dans un milieu modeste, fut repéré à 20 ans, lors d’un examen universitaire, par le philosophe Célestin Bouglé, fondateur du centre de documentation sociale et l’un des représentants de la fondation Rockefeller en France. Avec l’aide de Charles Rist (fondateur de l’IRES - Institut de recherches économiques et sociales - financé par la même fondation Rockefeller), Célestin Bouglé décida d’envoyer le jeune Marjolin poursuivre sa formation à l’étranger : en juillet 1931 à Londres, puis aux États-Unis grâce à une bourse Rockefeller, à Yale, où il passera une année émerveillé, de 1932 à 1933. 
Revenu en France, Marjolin s’engagea à gauche puis fut chargé de mission, à 25 ans, dans le Front populaire de Léon Blum en 1936, tout en se définissant, sans complexes, comme étant « à la fois socialiste et libéral ». Devenu bien entendu très « pro-européen » et ami de Raymond Aron [4], Robert Marjolin rejoignit Jean Monnet à Londres en 1940 puis ne le quitta plus pendant les années suivantes. Il le suivit à Washington en 1943, où Monnet s’affairait à servir les intérêts états-uniens en Afrique du nord, puis à organiser le ravitaillement de la France après la Libération. Marjolin suivit encore Monnet en 1946 à Paris, lorsque celui-ci fut nommé Commissaire général au plan ; il en devint le Commissaire adjoint. 
En 1947, Robert Marjolin fut nommé négociateur français à la conférence de Paris, comme président du groupe de travail du plan Marshall. De 1948 à 1955, il occupa le poste de secrétaire général de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), censée répartir l’aide de ce plan Marshall, mais chargée par la même occasion de faire appliquer les mesures libérales auxquelles ledit plan était conditionné. De 1958 à 1967, il fut commissaire européen sous la présidence de Walter Hallstein, avec le titre de vice-président de la Commission, chargé de l’économie et des finances. 
En 1962, avec Robert Triffin, économiste belgo-US membre du très influent Council on Foreign Relations (CFR) [5] largement financé par la fondation Rockefeller, et conseiller économique du "Comité d’action pour les États-Unis d’Europe" de Jean Monnet, Robert Marjolin élabora un programme d’action pour le deuxième étage de la Communauté économique européenne. Conformément à ce que souhaitait faire Walter Hallstein, ce programme proposait de réformer le traité de Rome dans un sens plus fédéral, en ouvrant la voie à la réalisation d’une union économique et monétaire. Naturellement, Robert Marjolin détestait Charles de Gaulle, qui le lui rendait bien. 
Robert Marjolin termina sa carrière comme membre du conseil d’administration de la compagnie pétrolière Royal Dutch Shell [6]. Il fut élu, en 1984, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, au fauteuil d’Edmond Giscard d’Estaing, père du président et lui-même ardent promoteur d’une monnaie européenne.

b) d’autre part, cinq États-uniens nommément cités :

1) Thomas Clifton Mann, sous-secrétaire d’État pour les Affaires économiques.

Thomas Clifton Mann (1912 - 1999) entra au département d’État en 1942 et en gravit rapidement les échelons pour devenir l’un des principaux responsables du ministère. Il eut en particulier une grande influence sur la position états-unienne vis-à-vis de nombreux pays d’Amérique latine. Après que Lyndon B. Johnson fut devenu président, le 22 novembre 1963, Mann, qui en était l’un de ses proches, fut considéré comme exerçant de factol’autorité des États-Unis sur l’Amérique latine. En mars 1964, il présenta une stratégie cynique (la « doctrine Mann »), en rupture avec « l’Alliance pour le progrès » lancée par Kennedy. Mann conseillait de soutenir les dictatures pro-US, de provoquer des changements de régime dans les États hostiles à Washington, tout en promouvant les intérêts économiques des entreprises états-uniennes. 
Comme le montre cette réunion du 11 juin 1965, Mann s’intéressait cependant aussi aux questions européennes. On imagine sans peine que le cynisme et le rapport de forces qui guidaient son action en Amérique latine l’inspirait aussi vis-à-vis des États de la CEE. Il quitta le département d’État l’année suivante, en 1966, pour devenir le porte-parole de l’Association des fabricants d’automobiles.

2) John Robert Schaetzel, adjoint du secrétaire d’État.

John Robert Schaetzel (1917-2003) étudia à l’Université de Mexico (1940) et à celle d’Harvard (1940-1942). Il entra dans la fonction publique au bureau du Budget (1942-1945), fut ensuite détaché au département d’État, puis passa un an à l’École de guerre (1954-1955) pour y poursuivre des recherches sur l’énergie atomique. À son retour au département d’État, il fut affecté auprès du secrétaire chargé de l’Énergie atomique, puis devint adjoint du secrétaire d’État. 
Quinze mois après cette réunion du 11 juin 1965, et peu de temps après la « crise de la chaise vide », il fut nommé —le 16 septembre 1966— représentant des États-Unis auprès des Communautés européennes, avec le rang d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire. Il le resta jusqu’en 1972. 
Après sa retraite du département d’État, Schaetzel apporta son soutien à de nombreuses organisations travaillant sur les liens entre les États-Unis et l’Europe et devint notamment le président du "Conseil états-unien pour les études" de Jean Monnet.

3) Deane Roesch Hinton, bureau des Affaires européennes, section des Affaires politiques et économiques atlantiques (EUR/RPE).

Deane Roesch Hinton (né en 1923) fut un diplomate et un ambassadeur de carrière. Diplômé de l’Université de Chicago en 1943 et ayant servi comme 2e lieutenant pendant la Seconde Guerre mondiale, il suivit des cours à Harvard en 1951-52 puis au National War College en 1961-62. 
Devenu diplomate, il fut notamment affecté au Kenya (1950-52), et en France (1954-55), avant de servir à l’administration centrale, à la section des Affaires politiques et économiques atlantiques, dans les années 60. Affecté ensuite au Chili (1969-73), il fut nommé ambassadeur des États-Unis au Zaïre en 1974, mais le président Mobutu le déclara persona non grata, le 18 juin 1975. 
ll fut ensuite nommé ambassadeur des États-Unis auprès de la CEE à Bruxelles de 1976 à 1979, puis successivement ambassadeur au Salvador, au Pakistan, au Costa Rica et au Panama. 
Il est membre du Council on Foreign Relations (CFR).

4) Andrew Fisher Ensor, bureau des Affaires économiques, section des Ressources internationales, division des Carburants et de l’Énergie (OR/FSE).

Andrew Fisher Ensor (1918 - 2008), d’origine britannique, fut naturalisé États-unien en 1957 après son mariage avec une citoyenne US. Il intégra le département d’État, où il devint —sous les administrations Kennedy et Johnson— l’un des principaux spécialistes du marché des hydrocarbures, et notamment de la politique pétrolière au Proche-Orient. 
Sa présence à la réunion du 11 juin 1965 est un peu mystérieuse, d’autant plus que la note ne fait aucune mention d’un sujet concernant son champ d’activités. 
C’est un indice qui tend à prouver que la note que nous examinons n’est qu’une synthèse, une sorte d’aide-mémoire édulcoré ne reflétant sans doute pas l’ensemble des sujets abordés, ni le contenu précis des échanges.

5) Stephen C. Schott, assistant.

Il s’agit du secrétaire, chargé de prendre les notes de la réunion, puis de rédiger le memorandum qui fait l’objet du présent article. 
Diplômé des Universités d’Harvard et de Fordham, parlant français, allemand, espagnol et néerlandais, il travailla auprès du sous-secrétaire d’État sous trois administrations présidentielles successives. Il a ensuite travaillé pendant 18 ans à la Banque mondiale avant de quitter le service public pour rejoindre le secteur privé en 1987.

Examen critique de la Note

Au vu de l’original de la note du 11 juin 1965, deux constats irréfutables s’imposent d’emblée : 
• En premier lieu 
a) La source d’Ambrose Evans-Pritchard existe bel et bien 
Le premier constat, c’est que la note du département d’État du 11 juin 1965 qu’évoque Ambrose Evans-Pritchard dans son article précité n’est pas un fantasme ni un faux, contrairement aux insinuations de quelques-uns de nos détracteurs. 
b) La note, étant « non classée » dès l’origine, est forcément une synthèse édulcorée 
• Le second constat, très important, c’est que ce document a été publié sous le timbre « non classé » (« unclassified ») dès l’origine. C’est-à-dire qu’il n’était pas protégé par le Secret-Défense. 
Cela signifie que cette note ne pouvait certes pas être diffusée au grand public —jusqu’à ce qu’elle soit « déclassifiée », ce qui a été fait à l’été 2000—, mais qu’elle pouvait néanmoins circuler assez facilement au sein du département d’État et y être lue par de nombreux fonctionnaires. 
Cela n’est pas sans conséquences. Puisque le rédacteur de cette note du 11 juin 1965 (en l’occurrence Stephen C. Schott) ne pouvait pas savoir par avance dans quelles mains elle pouvait tomber, mais savait qu’elle serait rendue publique trente ans après, il l’a nécessairement rédigée dans un style synthétique et très précautionneux, fait de sous-entendus et d’euphémismes, comme c’est l’usage dans toutes les administrations du monde.

 

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Ce point est confirmé par un détail intéressant. En haut à gauche de la 1ère page figurent la mention du rédacteur de la note « SCSchott » (encadré en vert dans l’extrait ci-dessus) et, plus bas, la mention « Approved in M 6/17/65 » (encadré en rouge ci-dessus) [7]. Or l’abréviation « M » désigne le Bureau du sous-secrétaire d’État pour les Affaires politiques (« Office of the Under Secretary of State for Political Affairs »). 
Cela signifie donc que la note a été approuvée avant diffusion le 17 juin 1965 —soit 6 jours après la réunion— par une instance, à l’intérieur du ministère, différente de celle qui avait organisé la réunion (le sous-secrétaire d’État pour les Affaires politiques est différent de celui pour les Affaires économiques). Ce genre de contrôle avant diffusion vise à s’assurer que la note ne comporte pas d’éléments trop sensibles, relevant du Secret-Défense. 
Autant dire que cette note n’a pas le style sans détours des documents Secret-Défense, dont seul un nombre infime de personnes peuvent prendre connaissance après une habilitation spéciale. Or les documents Secret-Défense du département d’État pour les années 50 et 60 n’ont pas, eux, été rendus publics à l’été 2000. Le souci de transparence des institutions états-uniennes a ses limites...

Sitôt après avoir obtenu le document original, nous l’avons bien entendu comparé au bref passage que lui consacre le journaliste Ambrose Evans-Pritchard dans son article du Daily Telegraph précité. Passage qu’il est utile de rappeler ici : « Une note émanant de la direction Europe, datée du 11 juin 1965, conseille au vice-président de la Communauté économique européenne, Robert Marjolin, de poursuivre de façon subreptice l’objectif d’une union monétaire. Elle recommande d’empêcher tout débat jusqu’au moment où l’adoption de telles propositions serait devenue pratiquement inévitable ».

Cette comparaison entre la note —qui fait 4 pages— et le résumé de deux phrases qu’en fait Ambrose Evans-Pritchard fait ressortir deux points majeurs :

1°) Bien qu’usant d’un raccourci, le journaliste britannique traduit bien, en quelques mots, l’esprit et le contenu de la réunion du 11 juin 1965. 
Sans aucun doute écrite avec prudence, la note du département d’État laisse paraître une démarche un peu moins explicite que ne le présente Ambrose Evans-Pritchard lorsqu’il écrit, dans son article, que cette note « recommande d’empêcher tout débat » sur l’union monétaire. 
Le journaliste britannique use en effet d’un raccourci. À s’en tenir au texte même de la note, ce serait d’abord le Français Robert Marjolin qui, interrogé sur l’avancement de l’union monétaire par ses interlocuteurs états-uniens, aurait fait part de ses « craintes » devant les «  résistances » face aux « propositions monétaires  ». Il aurait alors indiqué qu’il «  lui parait préférable d’attendre que l’adoption de ces propositions devienne pratiquement inévitable », après que soient mises en œuvre d’autres politiques communes, notamment la politique agricole commune. 
La note précise cependant que John Robert Schaetzel, adjoint du secrétaire d’État pour les Affaires économiques, aurait aussitôt abondé dans ce sens, en se félicitant « que l’union monétaire arrive dans le droit fil de la dynamique inhérente au traité de Rome. De ce fait, en accord avec ce qui semble avoir été la politique des rédacteurs du traité de Rome, ces décisions pourraient être reportées jusqu’à ce qu’elles soient devenues inévitables. » 
Ainsi donc, Ambrose Evans-Pritchard force très légèrement le trait en écrivant que la note du département d’État « recommande d’empêcher tout débat jusqu’au moment où l’adoption de telles propositions [sur l’union monétaire] serait devenue pratiquement inévitable ». Sans doute aurait-il été plus conforme au texte précis de la note d’écrire que celle-ci « juge préférable de garder le silence jusqu’au moment où l’adoption de telles propositions [sur l’union monétaire] serait devenue pratiquement inévitable ». 
Il n’en reste pas moins que la nuance est ténue et que les idées essentielles exposées par Ambrose Evans -Pritchard dans son article correspondent parfaitement à la réalité. À savoir que les responsables du département d’État et le vice-président de la Communauté économique européenne (CEE) : sont d’accord, dès le 11 juin 1965, pour promouvoir une union monétaire en Europe, sont également d’accord pour ne pas faire de « propositions monétaires » publiques en ce sens afin de ne pas soulever de « résistances », et sont encore d’accord pour estimer qu’il est plus habile de laisser le cours des événements se charger d’imposer [sous-entendu : aux peuples d’Europe] cette union monétaire de façon « inévitable » (« inescapable »).

2°) Le journaliste britannique ne restitue pas la scandaleuse duplicité du Français Robert Marjolin, qui semble résolu à satisfaire ses interlocuteurs états-uniens au lieu d’obéir aux gouvernements des États de la CEE. 
Si Ambrose Evans-Prichard a très légèrement forcé le trait quant au silence dont les participants conviennent qu’il faut entourer l’avancée de l’union monétaire, il a en revanche omis de souligner le caractère intrinsèquement scandaleux de cette réunion et de l’attitude du Français Robert Marjolin. 
Il est vrai qu’il devait se limiter à la taille très contrainte d’un article de journal et qu’il a, plus haut dans l’article, souligné à quel point « les dirigeants du Mouvement européen —Retinger, le visionnaire Robert Schuman et l’ancien Premier ministre belge, Paul-Henri Spaak— étaient tous traités comme des employés par leurs parrains états-uniens. » Sans doute n’avait-il pas la place pour reformuler le même constat au sujet de Robert Marjolin. Et c’est un peu dommage. Car deux constats, accablants pour la cause européiste, ressortent du document original : 
a) La servitude volontaire du vice-président de la CEE 
Robert Marjolin, vice-président de la CEE, apparaît comme un homme seul, littéralement assailli de questions par pas moins de cinq représentants du département d’État. Non seulement il accepte d’être ainsi placé dans une infériorité numérique manifeste, mais il accepte aussi d’être questionné —et de répondre !— sur une série de sujets de la plus haute importance stratégique. 
Le sentiment qui se dégage de cette note est à proprement parler celui d’une servitude volontaire : Robert Marjolin subit une audition en règle de la part de responsables d’un État étranger non européen, et il leur rend compte servilement de l’état d’avancement d’une feuille de route, en livrant tous les détails voulus. Le vice-président de la CEE endosse sans broncher le rôle d’un domestique qui rend compte à ses maîtres. b) La haute trahison du vice-président de la CEE vis-à-vis des 6 États membres de la CEE 
Si on lit bien cette note, on prend également conscience de cette chose incroyable que le Français Robert Marjolin confie à ses interlocuteurs états-uniens son souhait de circonvenir la volonté des États et des peuples européens, en leur imposant de façon subreptice une union monétaire, qui n’est pas envisageable dans l’immédiat compte tenu des « résistances ». 
Cette attitude duplice du vice-président de la CEE relève de la haute trahison vis-à-vis des 6 États membres à l’époque de la CEE, et notamment vis-à-vis de la France dont il est un ressortissant. Comment qualifier autrement ses confidences, alors qu’il ne disposait évidemment d’aucun mandat lui permettant d’échanger sur ce type de sujet avec les représentants d’un gouvernement étranger ? 
En particulier, le Français Robert Marjolin était le mieux placé pour savoir que Charles de Gaulle était alors en opposition frontale avec la Commission européenne, présidée par le juriste allemand Walter Hallstein, proche des autorités nazies pendant les années 30 et jusqu’en 1944. Le fondateur de la France libre allait d’ailleurs provoquer —moins de trois semaines après cette réunion de Washington—, la célèbre «  crise de la chaise vide  », qui allait durer du 30 juin 1965 au 30 janvier 1966.

La haute trahison de Robert Marjolin se mesure également dans un autre passage de cette note : celui où il déplore l’octroi de préférences tarifaires accordées par le traité de Rome créant la CEE —dont il est pourtant le vice-président !— à la demande des gouvernements des États membres, et en faveur de certains pays en voie de développement, notamment des anciennes colonies d’Afrique et des pays du Maghreb. 
Son désir de complaire à ses maîtres US le conduit à déclarer qu’il « ne pense pas que ces accords soient particulièrement souhaitables », à regretter « qu’ils pourraient causer des difficultés aux États-Unis en ce qui concerne l’Amérique latine », mais à rassurer Washington en soulignant « qu’ils ont une durée limitée et doivent expirer en 1970 ». 
Peut-on imaginer un responsable politique plus empressé à se plier servilement à des intérêts étrangers ? Et peut-on réellement s’en étonner, si l’on pense aux soutiens qui ont promu sa carrière, notamment la fondation Rockefeller et Jean Monnet ?

Que pensait le président Charles De Gaulle, en juin 1965, de Robert Marjolin et des projets de la Commission européenne ?

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« Quant à cette Commission, elle doit disparaître. Je ne veux plus d’Hallstein. Je ne veux plus de Marjolin. Je ne veux plus jamais avoir à faire à eux. [...] Je ne veux plus que le gouvernement français ait affaire à ces types-là. [...] Le problème, c’est toute cette mafia de supranationalistes, qu’ils soient commissaires, parlementaires ou fonctionnaires. Ce sont tous des ennemis. Ils ont été mis là par nos ennemis. » 
C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte, Fayard, Éditions de Fallois, Tome II, pp.290-291.

Qu’aurait pensé Charles de Gaulle de ces projets d’union monétaire dont Robert Marjolin rend compte à ses interlocuteurs ? 
Peut-on imaginer l’homme du 18 juin donnant un mandat à Robert Marjolin pour avancer de concert sur un pareil projet avec les États-Unis d’Amérique ? Ces États-Unis dont il avait justement dénoncé le rôle de chef d’orchestre de la « construction européenne » dans sa conférence de presse du 15 mai 1962, en les qualifiant de « fédérateur » qui « ne serait pas Européen ». 
La réponse n’est pas difficile à imaginer puisque de Gaulle lui-même a indiqué en tête-à-tête à Alain Peyrefitte ce qu’il pensait de Robert Marjolin et de ses collègues. Détail symptomatique, il a fait cette confidence à son ministre le samedi 12 juin 1965 au matin, c’est-à-dire quelques heures à peine après la réunion de Washington de la veille dont il est question ici, et dont le chef de l’État français n’avait probablement pas connaissance.

Reprenons donc ici cet échange ô combien instructif.

Charles-de-Gaulle : « Hallstein a inventé une cérémonie de lettres de créances pour les représentants des États à Bruxelles. Il se prend pour le président du Gouvernement supranational. Il ne cache même par son plan, qui consiste à transposer au niveau européen la structure de l’Allemagne fédérale. La Commission deviendrait le Gouvernement fédéral. L’Assemblée européenne serait l’équivalent de ce qu’est aujourd’hui le Bundestag. Le Conseil des ministres deviendrait le Bundesrat : le Sénat, en somme ! C’est dérisoire ! Mais ne vous y trompez pas : c’est une dérive institutionnelle qui finirait par s’imposer si nous n’y mettions pas le holà. Et nous sommes seuls à pouvoir le faire. [...] Quant à la Commission, elle ne l’emportera pas en paradis ! Je lui réglerai son compte ! Hallstein, Marjolin et Mansholt, c’est fini ! Je ne les renouvellerai pas !  »

Quinze jours après, lors d’un nouveau tête-à-tête avec Peyrefitte tenu après le conseil des ministres du 1er juillet 1965, le fondateur de la France libre et de la Ve République laissa de nouveau exploser sa colère contre la Commission européenne, et notamment contre Walter Hallstein et Robert Marjolin : 
« Quant à cette Commission, elle doit disparaître. Je ne veux plus d’Hallstein. Je ne veux plus de Marjolin. Je ne veux plus de Mansholt. Je ne veux plus jamais avoir à faire à eux. [...] Il faut nettoyer tout ça. En tout cas, je ne veux plus que le gouvernement français ait affaire à ces types-là. Ça, c’est fini pour de bon. [...] Le problème, c’est toute cette mafia de supranationalistes, qu’ils soient commissaires, parlementaires ou fonctionnaires. Ce sont tous des ennemis. Ils ont été mis là par nos ennemis. Le copinage socialiste, avec quelques otages MRP, quelques copains à Félix Gaillard et à Maurice Faure. Alors, ils passent leur temps à créer un état d’esprit hostile à la France. »

L’information la plus importante que révèle la lecture de la note originale du département d’État du 11 juin 1965 réside dans la totale allégeance politique —et même la complicité— du vice-président de la CEE, avec les responsables états-uniens. Robert Marjolin se livre très exactement à ce que l’on appelle de tout temps une « entente avec une puissance étrangère » et un acte de « haute trahison » vis-à-vis des 6 États membres de la CEE pour le compte desquels il est censé travailler, et en particulier vis-à-vis de sa propre patrie : la France. 
Encore cette note, d’un niveau de confidentialité limité, n’est-elle que la partie émergée de l’iceberg. Les documents secrets, rédigés dans un style certainement plus direct et avec un cynisme à coup sûr plus net, sont encore maintenus secrets.

Source 
Union populaire républicaine (UPR)



25/06/2014
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